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Publié le par What's Wrong With us?

Mike et moi, debout les premiers, commençons par piller l'Apotheke um die
Ecke, pour conjurer la grippe montante. D'autant que le vent souffle dru, et
que l'emmitouflement quasi-total (le col remonté jusqu'aux pommettes et le
bonnet rabattu sur les sourcils) ne suffit pas à nous protéger du froid.
Nous avons l'air de deux terroristes en promenade, IRA ou RAF, un club de
plastiqueurs occidental plutôt qu'islamiste au vu de nos pâles carnations et
de nos frusques. Quelques cachets plus tard, Alexa nous rejoint pour une
balade à travers la ville. Mais le petit-déj' (où je remarque que
l'ignorance de la langue vernaculaire rend idyllique ce qui ne l'est pas ;
Mike trouve l'accueil charmant d'une serveuse accorte autant que la porte de
Guantanamo) et les harengs (nous en salivons depuis une demi-semaine déjà)
nous retardent. Pas de dérive touristique sur les eaux huileuses du port,
parmi les hauteurs inhumaines des paquebots et des chalutiers, nous hâtons
le pas pour parvenir à l'heure au soundcheck en remettant à plus tard le
trajet joli. Hélas pour nous, l'ingénieuse du son a du retard... nous
attendons attendons maudissant notre sort injuste, patientons de demi-heure
en demi-heure, nulle trace d'elle, alors détour moratoire par le centre (qui
détonne avec ce qu'il était à l'été, riant, jamais désempli, bariolé de
terrasses), retour, attente... L'atypique technicienne arrive enfin,
fébrile, géante, aux bras musculeux de sportive d'élite, et, munie de gants
en plastique (un vieux réflexe nous fait serrer les fesses), elle s'emploie
à câbler la scène. Non contente d'être deux ou trois heures en retard, elle
cultive la sécheresse des femmes du nord (elle me rappelle parfois, par son
humour pisse-froid, certaines Hollandaises) - a-t-elle dû adopter cette
attitude agressive pour mieux s'imposer dans un monde essentiellement
masculin ? Les femmes techniciennes sont pourtant courantes à Hambourg, nous
dit-on... Trait de caractère alors... Nous expédions assez vitement les
choses mais au tour d'Elyas (nous avons décidé qu'il jouerait avant nous un
set en solo d'une vingtaine de minutes et nous rejoindrait pour les rappels
: nous préparons deux reprises des Nervous Cabaret et lui accompagne Zoé de
ses mélismes sur la reprise de Nina Simone), tout se bordelise. Les DIs, les
jacks, les micros, tout envoûté se défile échappe au contrôle indocile
technologie de merde. Après une heure d'essais divers, le problème est isolé
et résolu. Nous laissons la scène aux Autrichiens lecteurs qui ouvriront le
bal (assis depuis le début à une table devant leurs ordinateurs portables,
ils balancent à intervalles réguliers un rire insupportable pour tester la
machine). Le cabotage tombe à l'eau, il est si tard... Nous décidons de
bouffer japonais, marchons tous jusqu'au port, n'y trouvons rien
d'engageant, nous réchauffons les extrémités dans un pub irlandais (?!),
mais l'heure tourne, il faut déjà retourner au Schilleroper pour y souper,
délicieux frichtis de poulet au curry, riz, semoule, légumes, enfin un repas
qui ressemble à un repas. La salle s'emplit peu à peu (notre photo figure en
pleine page du magazine culturel de la ville), chouette, la malédiction est
rompue, et voici que dans un silence religieux s'installent les Autrichiens,
vêtus grotesquement de salopettes grises maculées de (faux) sang, écran
transparent tendu devant les deux diseurs (lui épouvantable, elle très
bonne), et à l'avant-plan, deux musiciens (lui contrebasse elle clarinette
basse). Le spectacle s'intitule Das Lachen und der Tod, en avant pour
l'oxymoron réchauffé à l'humour cosmique, ça augure bien du reste, on crève
mais on rigole, salut à toi Démocrite ! Hélas, flot d'images et de phrases
(en allemand rapide, incompréhensible), insipide diarrhée contemporaine, ton
sentencieux, ennui qui s'extravase et recouvre tout, public, scène,
interprètes... Prétention énorme et manque de moyens intellectuels ; ces
gens-là n'ont pas vraiment peur de la mort. Nous nous changeons pendant la
fin de leur spectacle, nous gagnons les faveurs des serveurs homosexuels
(c'est vrai que nos costumes nous embellissent), buvons un peu en attendant
que le scène se dégage. Elays vient enflammer le public ; quel contraste !
Présence écrasante, modestie qui met cette dernière en valeur, assurance née
de centaines de concerts. Dans ta gueule... Et nous y voilà...

Publié dans wwwustour06

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