Hip hap hop, Dessau

Publié le par What's Wrong With us?

Mon dieu, mein Gott, dios mio, la confirmation est amère... Il aura suffi
d'un trajet lapidaire à travers sa superficie pour se faire une idée
définitive de la nullité de Dessau. Unteroberndorf n'a qu'à bien se tenir !
Ici, on ne rit pas, on grimace avec peine et l'on fuit prestement lorsqu'un
inconnu - fût-il d'apparence aryenne et s'escrimant à s'exprimer dans un
allemand potable - s'adresse à vous pour demander son chemin. On va à genoux
dans la vie, stigmatisés par des années de socialisme avilissant,
nostalgiques de l'ordre et, par delà la honte des années de séparation, du
3è Reich et de ses simplifications rayonnantes. Ah qu'il faisait bon se
dorer au soleil des bombes, ou s'abriter à l'ombre des étendards nazis ! Le
bon vieux temps sans nez crochus ni hôtes au hâle trop prononcé ! Ville des
avant-gardes stérilisantes (et pourtant l'idéal était bel !), de l'asepsie
communiste, de l'égalitarisme abrutissant et raseur de têtes (Thrasybulle
!), Dessau où chaque bonne surprise trouve instantanément sa négation
éclatante (ainsi le moindre charme se trouve gâté par la proximité
flétrissante d'un HLM réaliste socialiste, chancre d'un projet urbanistique
totalitaire utopiste : monstres aux enflures de briques ou de morne ciment,
craquelés, sans grâce, mafflus, atroces !). Nous nous perdons dans la ville
pourtant insignifiante, parfois émus par les tentatives d'amélioration
(l'éclairage réussi : nous arrivons de nuit, qui en dosant savamment ombres
et lumières, tente de raviver les joliesses et d'obscurcir les hideurs), le
plus souvent éperdus devant tant d'ennui dense. Nous finissons, écoeurés,
par trouver le Beatclub. Chouette cacahuète ! Un vrai club, très beau, avec
une scène digne de ce nom, deux colonnes quasi maçonniques la flanquant
côtés cour et jardin. Un soundcheck réussi malgré le matériel défectueux et
un quiproquo salace... désireux de nous noyer dans la fumée (smoke),
l'ingénieur du son, russe et massacrant à qui mieux mieux la langue de
Shakespeare (Zoé a trouvé son maître !), nous demande si "fog (brouillard)
is ok for you ?". Interprétez, avec l'accent piètre des Moscovites, et en
regardant Jo droit dans les yeux avec un contraposto digne de Michelangelo :
"Fuck is okay for you ?" Les yeux de Jo prennent des proportions démesurées,
nos bras à tous tombent de stupéfaction, - une invite si directe, est-ce le
sax, l'élégance naturelle, l'air artiste perdu dans les lointains ? Puis
c'est la franche rigolade, sitôt le doute dissipé. Peu de fumée, svp, ça
irrite la gorge ! Quelques nappes légères, fumerolles accroissant le
mystère, discret surlignage tel fil de rimmel. Puis avant le début, vite
vite, un saut à l'hôtel (luxe et volupté !), Etape de son nom, en fait un
bâtiment au bord de l'autoroute, en préfabriqué, et sans personnel ! On y
entre par code, après avoir payé son séjour à l'avance à l'aide de sa carte
de crédit auprès d'une manière de bancomat. J'étouffe ; univers robotisé,
sans présence réelle, on imagine braqués sur soi les yeux froids des caméras
de télésurveillance, ou, pis, une révolte soudaine des machines, et soi pris
en otage de cette guerre implacable entre règnes mécanique et animal... Mais
miracle, dans les chambres, un poste de télé, qui fait rêver à un repos
illimité, bercé par les enquêtes soporifiques et merveilleuses de Derrick et
du Vieux, aux zooms emphatiques des années septante... On dépose sacs dans
les cabines (les chiottes font penser à des paquebots, tout y est moulé
d'une pièce dans du ?rène) et vite, vite, on rejoint le club où une poignée
de blasés quadras nous attendent. Malgré l'enjeu supposé (nous faisons
l'ouverture de la scène "Nouvelles sonorités" du festival Kurt Weill), nous
réprimons à grand' peine un bâillement. Le concert ne s'annonce pas très
excitant... Effectivement, le public reste au fond de la salle, seuls
l'organisateur et un danseur fou (qui tente par ses bonds de marsupial de
séduire quelque représentant de la gent féminine) tentent d'initier un
mouvement de rapprochement. Dur dur. Situation lausannoise - pourquoi
pourquoi s'ingénier à payer de sa personne, à branler des mollets, à
touiller des rotules pour des assis qui vous aspirent et vous sucent
avidement, comme des vampires, sans rien rôter en retour, pas une goutte, un
globule, rien, que dalle ? Nous nous faisons l'impression de quartiers de
viande en vitrine, sucs à mouches, pitres, saltimbanques persillés dont la
tendreté aguiche, avec là-bas les bouchers glacés, les peaux vides en quête
de barbaque, les ennuyés du coeur qui tremblent par procuration et mendient
leur minimum vital de folie, sans payer de leur personne, lisses comme des
murs, secs, morts. Comble de malheur, je casse une corde (comme la veille !)
sur Near us - deuxième morceau ! - et troque ma Blade contre ma Vester.
Alors que je me démène par pur excès de professionnalisme, j'avise que la
vis qui retient ma sangle se défile en catimini... panique à bord ! Mes
mouvements sont désormais comptés, j'économise, pour ne pas décupler le
poids destructeur, par moments je retiens ma gratte, pour épargner la
résistance mise à mal... si bien que l'attention ordinairement tout entière
dans le jeu (scénique et jouissif) se porte ailleurs et gâche le concert.
Les écueils techniques qui obnubilent...
On achève, il paraît que nous étions bien et que les connaisseurs opinaient
du chef. Comme quoi... on s'échappe toujours !

Publié dans wwwustour06

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