Yéyé nana!

Publié le par What's Wrong With us?

On dort, on rêve le village mégapole, les bars jamais fermés, la bière à 1
euro, les femmes belles et offertes, qui vous prennent par la main pour vous
dégoupiller la braguette... et on est réveillé par les sarcasmes des
pilotes, parce qu'enfin, Iena dont j'avais vanté les mérites, aveuglé par
les on-dit de l'histoire, capitale du savoir et de la nonchalance
estudiantine, déversant nuitamment dans ses artères des foules assoifées et
en chaleur, quêtant l'aventure sexuelle et artistique, l'ivresse des
profondeurs vaginales, les bacchiques associations, la déperdition
dyonisiaque des sens, Iena que j'avais dépeinte comme l'apex halluciné de
notre périple, le zénith sensuel et frénétique de nos pérégrinations,
l'acmé, débordant des sèves de l'instinct, de notre itinéraire, Iena se
découvre comme une bourgade, un bled, un hameau, trois maisons moches, une
voix ferrée, deux chemins vicinaux... Vous vaticinez, entonné-je, ce n'est
pas possible, et j'énumère les noms célèbres... mais je dois me faire une
raison, le panneau indique bien Iena... Heureusement pour mes talents
d'aruspice, peu à peu le réseau des rues s'examplifie, les blocs surgissent,
des tours et des murailles, un cimetière vétuste digne des plus sinistres
gothiques, - rien qui atteigne jamais les proportions imaginées, mais,
mieux, quelque chose qui rappelle le charme des venelles d'antan... Des
voies piétonnes, des auberges qui virent vomir Goethe, et au bout du chemin,
le café Wagner, ultime étape de notre tournée. En attendant le rendez-vous,
café thé strudel au Schweizer, parce que l'endroit, tout de végétation
riante et de calme paradisiaque, était surnommé la Suisse de Thuringe, au
XVIè siècle et des poussières (ex favilla in favillam...). Nous nous y
sentons chez nous, ses serveuses aux opulentes poitrines et aux aisselles
odorantes, sa discrétion, son atmosphère boisée... des séances imbéciles de
photographie plus tard et quelques grammes de sucre en plus, nous dirigeons
nos pas à trois de là, ce petit chalet juché sur une colline. J'avais eu le
coup de foudre pour l'établissement en visitant leur site et la réalité ne
me donne pas tort. C'est petit, fait pour le théâtre avec sa scène en bois
et ses rideaux rouges... coup sur coup, après nous être installés au
sous-sol, nous apprenons : que l'ingénieur du son aura du retard ; que deux
autres groupes jouent (au lieu d'un seul comme prévu) ; que c'est vacances
scolaires - adieu orgie promise et étudiantes égrillardes qui entr'ouvrent
jupons et lèvres pour un oui ou pour un non ! Attente encore, j'écume, je
m'enrhume, je ne veux pas jouer. L'ingé appelle ; encore plus de retard.
Pour calmer ma colère, je sors visiter. Mike et Ju avec. C'est calme, bien
éclairé, des bistros partout, et des cohortes de gens déguisés ; la faute à
Mardi Gras, Fasching, comme dans une des Lektionnen de Vorwärts ! On revient
à l'heure, pour s'entendre dire que l'ingé tarde encore. Je décide de
m'enfouir sous les draps. Quand le crétin des Alpes arrive, un con d'ado qui
a trop fait la foire (et nous, est-ce que ça nous empêche de traverser la
moitié de la Teutonie et d'être à l'heure ,CONNARD !), nous pressentons la
catastrophe. Un seul retour, lui qui s'emmêle les pincemerdes, met des
archiplombes à dresser le plateau, et pas un mot d'excuse, un sourire amusé
de soi-même... J'abdique et me recouche... Deux heures plus tard, nous
soundcheckons sur la scène entretemps disparue sous le matos cumulé de trois
groupes, jungle de câbles, enfer d'amplis. On effraie les autres musiciens
(on s'y est habitué mais notre truc semble complexe aux oreilles non
averties, que nous exécutons sans état d'âme, mécaniquement, en regardant
ailleurs...) et je pars kebaber avec Mike. Longue promenade et discussion
d'amis sur l'amour, les femmes, comme les murailles de Iena ont dû en
entendre des milliers !

Le premier groupe pratique un pop rock FM braillé en allemand qui me tire à
peine de mon sac de couchage (tout ronchon et travaillé au coeur par un
borek trop profus, je ronge mon frein sur le canapé trop petit de notre
dortoir). Les Hollandais du deuxième, trio, donne dans NY. Sonic Youth,
Shellac, usw... j'aime bien... du sous-sol, ça sonne bien. De la salle,
aussi, mais trop fort. Elle chante comme un poisson mort (je veux dire sa
position immobile et sa tête penchée sur le côté de Saint-Sébastien
travesti), le batteur mouline net, et le basse/guitare baryton, deux mètres
devant la scène avec sa valise d'effets, point contre point ourle le tout de
lignes intéressantes. Je m'énerve (de toute façon tout m'énerve,
spécialement ce que je ne sais pas faire, qui se transforme selon la subtile
et efficace alchimie de la mauvaise foi en caca puant). Je veux pas faire le
pitre à une heure du matin pour une poignée de sourdingues. On aménage la
scène. Feux d'artifice. Je convertis ma malhumeur en énergie, tous on fait
des efforts, c'est la der des der, on montre à ces glaçons la nature de la
flamme, mes guitares sont réparées, les décibels grimpent, et tous les
degrés de l'absurdité comportementale aussi... A l'issue, chaleur, on noue
avec tous ces musiciens de partout, cartes de visite, e-mails, où sont les
femmes ? Je bois de l'eau, la mauvaise humeur, sitôt les instruments serrés,
m'a repris. Je salue poliment, dodo. Lundi, moi, je bosse !


Publié dans wwwustour06

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