Moule de Merlin?

Publié le par What's Wrong With us?

J'ai déjà dit notre deuxième arrivée dans Berlin, "au mépris de toute chronologie", sens dessus dessous l'histoire, par pur caprice éclatant, souveraineté de l'enfant, jeu divin, orgueil démiurgique - y a-t-il plaisir plus entier que de déplacer nonchalamment les pièces de l'échiquier selon ses règles à soi ? Faire crouler la dame selon son bon vouloir ? Abroger les diagonales du fou et destituer le roi au bénéfice d'un pion ? Pratiquer la redistribution aléatoire des privilèges, se substituer à la roue de la fortune, remettre en faveur la révolution permanente ? Hi hi hi c'est le ludus creatoris, la folie douce du Naturant, le délire mythomane par excellence et notre plus chère prérogative (ô la réinvention du monde) mais tout a une fin, l'ordre naturel reprend ses droits, sur les mains le sang monte à la tête et même les idoles fatiguent de voir leurs clefs tomber de leurs poches et leurs permanentes perdre de leur panache... Berlin deuxième mouture c'est la galerie (je résume pour les alzheimers), l'art sino-simiesque, les imbéciles sur le sofa rouge puis les junkies et leur berlue, notre généreuse prestation malgré les circonstances contraires et les cris de corneille de la sorcière aux aiguilles (ni faiseuse d'anges ni tricoteuse mais bel et bien perdue dans la poudreuse plus sûrement qu'un guide de haute montagne). Tandis que je me repose alangui sur le suscité sofa (qui malgré le temps qui tout efface garde comme un défi à ce dernier sa couleur outrageusement vive de sang versé), que la plupart des autres sont partis s'enquérir de notre logis pour la nuit (nous devions appeler le jour même mais comment faire sans le numéro ?) - la galerie Scherer 8 doit nous accueillir, où nous jouerons le lendemain (frisson de suspens, nous sommes pour l'instant sans feu ni lieu) - une horde de British blafards et surexcités, gavés de magazines et biberonnés à MTV, risiblement fashionables avec leurs postures de star du X et leurs casquettes vaguement arsouilles (ont-ils compris quoi que ce soit à l'élégance morale, ces teenagers aux pieds de fromage, exsudant les hormones de la bêtise, soufflant sous le joug du conformisme béat, et sacrant comme un régiment ivre à la recherche de putes - les filles surtout, fuck par ci fuck par là, sans humour, pauvrette mise en scène narcissique de sa propre médiocrité, de son complexe de homard - ébouillantez-les illico, qu'ils mitonnent dans leur jus gras et malodorant et s'étouffent dans l'excès écumant de leurs glandes salivaires, se noient dans le bouillon de leurs pituiteuses couillonnades ! et faites avaler le brouet infect aux publicitaires qui les ont inventés !). Ca se croit au coeur du Berlin branché, pose par groupes, fait crépiter les flashes, imagine des sunlights et des cameramen, s'enduit de cold-cream, danse sur la musique en s'observant au plafond (les ombres, camarade, les ombres), en jouissant de soi, en se projetant sur les pages d'un pauvre tabloïd - ah mon gode si j'étais le prince Charles mais sans les oreilles - sans une once un pouce un pied de considération pour nos carcasses à nous qui nous foutons de leurs malaises transitoires... (A ce propos, je ne manquerai pas de saluer ici la prouesse d'une équipe de chercheurs britanniques, justement (ce n'est pas un hasard !), qui a mis au point un son insupportablement discrépant et qui a cette fabuleuse particularité, en s'appuyant sur une mutation de l'appareil auditif survenant autour de la vingtaine, de n'être perceptible que par les jeunes ouïes. On imagine sans peine les applications salutaires d'un tel procédé. Judicieusement placés en des points stratégiques, des diffuseurs feront fuir sans peine les hardes d'ados qui nous gâchent habituellement le paysage pour les parquer en des lieux prédéfinis où des caméras de vidéosurveillance enregistreront leurs ébats saugrenus (de quoi nourrir pour les siècles des siècles l'émission Vidéo Gag...). A nous les beaux boulevards, les nobles avenues ! La ville libérée des crachats et des casquettes blanches des rappeurs en goguette ! A qui se plaindra de l'incivilité de pareille action, je rétorquerai que ce traitement nous est à nous infligé depuis longtemps déjà ; partout sévit, en effet, une musique de merde en boîte (dirai-je manzonienne ?) que seules les oreilles inaverties de nos belles jeunesses sont à même de supporter. Oeil pour oeil, dent pour dent, vienne le temps du Thalion acoustique !) Ca se répand autour du matos, babille platement, se tortille et gambille comme des rats... je ris sous cape, m'esclaffe, m'excite d'hilarité homérique, me berce de rêves de massacre et de tortures orientales, un à un les visages des grands singes des scènes d'expérimentation appendues aux murs sont remplacés par les rictus grimaçants desdits ados, mais la porte s'ouvre, surgissent nos explorateurs, nous chargeons le bus et faisons cap sur Wedding, Berlin ouest, quartier déshérité, pour y implanter nos pénates itinérantes, sises désormais à deux pas de l'Adolfstrasse... Tout est désert, la galerie sent le remugle punk, nous dormirons sur place, clefs en main, quelques-uns sur les matelas maculés de la chambre du premier (d'où j'écrivais nos péripéties), d'autres sur les canapés du rez, transpirant la fumée et la bibine, dans la ténèbre moite d'une cave. Il fait froid. Carrés dans l'étoffe passée des canapés, engoncés dans nos sacs de couchage, nous nous endormons bières en main en regardant d'affilée quarante au moins épisodes des Happy Tree Friends, ça gicle et jaillit de tous côtés, sang yeux et boyaux, tripes, intestinailles, organichons et poitrails, se fait escrabouillir, explosailler, soumettre à scie, découper drus, avaler crus, tuer en série, électroculotter, chair à rire en flaques flash, peaux vides, nerfs élongés, carcasses montées en ressorts, ah la jolie chasse à cour, les mignards hallalis, et la messe dite à la littérature enfantine. On se tient les côtes - parfois jaune, ça saigne sadique souvent - d'autant que l'expo au Scherer 8 (il y a deux salles avec vitrine donnant sur la rue où l'on montre oeuvres - le bar et la scène de plain-pied sont au entre les deux, sans fenêtres) est consacrée à la saucisse ! Fulgurations des Parques, nos destins se nouent ici et notre insatiable appétit pour les Würste et le Speck trouve enfin sa matérialisation symbolique dans la capitale même, cette galerie glauque qui nous rappelle tant nos errances juvéniles dans les squats genfois. Rassérénés par la proximité sauciflarde et le parfum de moisi (ce compagnon de tant d'années !), heureux de jouer le lendemain dans ce temple poussiéreux et hérissé de tesson, chevaliers de l'underground, nous sombrons les pieds froids mais la tête la première dans un sommeil hanté par des écureuils tronçonnés et des cervelas parlants

Publié dans wwwustour06

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